Première femme à représenter Haïti en natation aux Jeux Olympiques, Naomi Grand’Pierre a inscrit son nom dans l’histoire du sport haïtien à seulement 19 ans. Invitée dans l’émission Carel in The Morning ce mercredi 12 mars 2025, elle est revenue sur son parcours, marqué par de nombreux défis en tant qu’athlète et entraîneure.
« L’expérience a été vraiment difficile, car je n’avais aucun modèle. Quand j’ai participé aux JO de 2016 à Rio, j’étais en quelque sorte un cobaye, je découvrais tout au fur et à mesure. J’ai appris ma qualification seulement deux semaines avant le début de la compétition », raconte-t-elle. Sous pression, elle se prépare avec confiance malgré des critiques mitigées. « Beaucoup me soutenaient, mais d’autres remettaient en question mon identité haïtienne parce que je ne parle pas couramment le créole. Pourtant, je comprenais ces remarques », explique-t-elle.
Créatrice et psychologue de formation, Naomi Grand’Pierre possède la triple nationalité haïtienne, canadienne et américaine. Née au Canada avant de s’installer aux États-Unis, elle raconte que son intérêt pour la créativité a précédé sa carrière de nageuse. « La photographie m’a guidée vers la psychologie, qui s’est ensuite transformée en une passion pour le marketing », déclare-t-elle. Un parcours qu’elle juge cohérent : « Même en tant que nageuse, j’ai su allier mes compétences en marketing et ma compréhension de la psychologie », souligne-t-elle.

Son objectif a toujours été de redorer l’image d’Haïti sur la scène internationale. « Haïti est souvent associée à des nouvelles négatives. En participant aux JO, une plateforme mondiale, j’ai voulu changer cette perception en mettant en avant des réalisations positives », confie-t-elle. Elle espère poursuivre cet engagement à travers son travail avec des artistes comme Fatima et Abdias, qu’elle aide avec des stratégies de marketing et de psychologie.
La natation est devenue une priorité pour elle à la suite d’un drame familial. « Ma mère a perdu deux de ses cousines dans un naufrage, alors elle a voulu s’assurer que tous ses enfants sachent nager », raconte-t-elle. Elle cite aussi comme inspiration le nageur noir Cullen Jones, médaillé d’or olympique pour les États-Unis. « J’aurais pu intégrer l’équipe américaine, mais j’ai choisi de nager pour Haïti par respect pour ma mère », explique-t-elle.
Son engagement allait au-delà de sa propre carrière. « Il n’existait pas de modèles haïtiens en natation, contrairement aux États-Unis et au Canada. J’ai voulu en être un pour la nouvelle génération », souligne-t-elle. La préparation aux Jeux a été ardue : « Avec mon équipe, nous avons tout construit de zéro, en travaillant avec la fédération haïtienne et la FINA », relate-t-elle. Aujourd’hui, l’équipe de natation haïtienne compte huit athlètes.

Avec plus de temps de préparation, elle pense qu’elle aurait pu obtenir de meilleurs résultats. « Le stress influence beaucoup la performance. On nous demande de ramener des médailles, mais il faut des millions de dollars pour y parvenir. Haïti doit offrir un meilleur soutien à ses athlètes », estime-t-elle. Elle déplore aussi l’absence d’infrastructures en Haïti. « Sans piscine aux normes, les athlètes doivent s’entraîner à l’étranger », rappelle-t-elle.
Concernant son expérience olympique, elle explique : « Nous avons toujours eu le soutien du Comité olympique haïtien, qui prend en charge les billets et l’uniforme. Mais la fédération doit aider chaque sport à se qualifier, or le comité n’intervient souvent qu’à la dernière minute ».
Depuis sa retraite de la natation en 2018, elle s’est reconvertie en entraîneure. « Arrêter la compétition a été difficile, car la natation faisait partie de mon identité », avoue-t-elle. Elle note aussi un problème structurel : « La plupart des athlètes haïtiens ne participent aux JO qu’une seule fois, car le parcours est trop éprouvant ».
Comparant les réalités, elle affirme : « Un champion comme Michael Phelps gagne une médaille, puis signe un contrat avec Nike. Les athlètes haïtiens, eux, doivent faire d’énormes sacrifices pour se qualifier une première fois ». Contrairement à certaines idées reçues, elle souligne que les Haïtiens aux JO ne sont pas fortunés : « Ils y vont par amour du sport et de leur pays, donnant tout sans garanties pour l’avenir ».

Elle espère voir émerger un système où les athlètes puissent en faire un métier. « Si j’avais été payée pour nager, je n’aurais pas arrêté. C’est un débat important », insiste-t-elle.
Malgré les obstacles, elle constate des progrès. « Depuis 2016, Haïti a toujours des représentants aux JO », se félicite-t-elle. Attachée aux traditions olympiques, elle confie : « Se faire tatouer le logo des JO est une première étape pour un athlète ».

Aujourd’hui, son ambition est d’atteindre le plus haut niveau en matière de créativité, en collaborant avec des artistes comme Fatima, Michael Brun ou Manno Beats, afin de porter la musique haïtienne sur la scène internationale.
Regardez l’interview complète de Carel Pedre avec Naomi Grand’Pierre sur la chaîne YouTube de Chokarella ci-dessous
Par Youbens Cupidon © Chokarella