Sorti en salles le 25 décembre 2024, Ernest Cole, Photographe, un documentaire signé par le réalisateur haïtien Raoul Peck, retrace la vie et l’œuvre d’Ernest Cole, photographe sud-africain témoin privilégié de l’Apartheid. Couronné de l’Œil d’Or, prix du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2024, ce film s’attache à faire dialoguer l’histoire personnelle de l’artiste avec la mémoire collective d’un système oppressif.
Né le 21 mars 1940 à Pretoria, Ernest Cole immortalise dès les années 1960 les injustices du régime de l’Apartheid. À travers des clichés marqués par une saisissante vérité, il capte les ségrégations, les gestes du quotidien, mais aussi l’espoir fugace d’une solidarité humaine. Son projet photographique, qui dépasse le simple reportage, se construit au péril de sa liberté.
« En Afrique du Sud, j’avais peur d’être arrêté ; dans le sud de l’Amérique, j’avais peur d’être tué », confie-t-il dans des mots repris dans le film.
Contraint à l’exil pour donner naissance à son œuvre majeure, Cole publie en 1967 House of Bondage, un recueil photographique dénonçant la brutalité du régime sud-africain. Le livre est interdit dans son pays natal, mais son impact est immédiat à l’international. À seulement 27 ans, le photographe accède à une reconnaissance mondiale tout en portant le poids de l’éloignement et de la solitude.
Raoul Peck s’emploie à reconstituer, avec minutie, les parcours croisés de l’artiste et des Sud-Africains en quête de liberté. À travers une succession d’images en noir et blanc et en couleur, le documentaire redonne vie à une époque charnière, entre les années 1960 et 1980, marquée par la création prolifique d’Ernest Cole. Cependant, le film illustre également la désillusion de l’artiste, confronté aux inégalités persistantes aux États-Unis où il s’installe.
Les photographies, analysées dans le film, révèlent l’importance des compositions et des multiples perspectives adoptées par Cole. Ces clichés capturent des instants en apparence ordinaires, mais chargés d’une profonde signification pour les communautés noires.
La voix off du documentaire, interprétée par Raoul Peck, fait résonner les mots de Cole. Chaque phrase repose sur des lettres, des témoignages ou des archives authentiques, renforçant la dimension personnelle et universelle de l’œuvre.
L’exil d’Ernest Cole l’entraîne dans une spirale de pauvreté et d’oubli. Cependant, une découverte en 2017 dans une banque suédoise redonne un élan à sa mémoire. Trois malles contenant 60 000 clichés et négatifs sont retrouvées, soulevant des questions sur les raisons de leur stockage et l’identité de leur protecteur. Le documentaire explore ces mystères en collaboration avec Leslie Matlaisane, neveu du photographe.
Avec Ernest Cole, Photographe, Raoul Peck démontre une nouvelle fois sa capacité à conjuguer l’intime et le politique. Entrecoupé d’interviews et enrichi d’archives, le documentaire interroge autant qu’il informe. Il témoigne des luttes et des espoirs d’un homme dont l’objectif a marqué l’histoire.
Accompagné d’une bande originale mettant en valeur des artistes sud-africains et afro-américains contemporains de Cole, le film renforce l’impact émotionnel des images.
La sortie du documentaire a été accompagné d’un ouvrage publié par les éditions Denoël, offrant une autre porte d’entrée vers cette œuvre riche et nécessaire.
Raoul Peck rappelle, avec ce film, l’importance de préserver les voix et les regards qui ont capté les fractures de l’histoire.
Par Ravensley Boisrond, éditeur en chef de Chokarella