Joseph Odelyn, le photographe qui raconte la réalité haïtienne à travers son objectif

Joseph Odelyn, photojournaliste et cinéaste haïtien de 32 ans, s’est imposé comme un professionnel accompli dans le monde de la photographie en Haïti. Ses compétences, saluées par des distinctions internationales, témoignent de son engagement et de sa passion. En marge de la 6e édition des Rencontres du Documentaire en Haïti, il s’est produit pour partager ses clichés avec un large public. Cet événement est l’occasion pour lui de revenir sur son parcours et sur l’évolution de sa carrière, lors d’un entretien avec la rédaction de Chokarella.

Originaire de Delmas, Joseph Odelyn est né le 25 juin 1992 et a grandi à Canapé-Vert, au sein d’une famille de trois enfants. Après avoir terminé ses études secondaires au lycée Jean-Jacques Dessalines, il se retrouve dans une impasse professionnelle. “Après la fin de mes études secondaires, j’ai passé près de deux ans sans rien entreprendre. J’avais envisagé de me former en télécommunications, mais mon père n’avait pas les moyens de me permettre cela. C’est alors que j’ai intégré l’école de Droit des Gonaïves”, raconte-t-il.

Le destin d’Odelyn prend un tournant lorsqu’il participe à un concours organisé par l’église La Prophétie de Turgeau. Au départ, il n’avait aucune idée de ce qu’était la photographie. “Je ne savais pas ce qu’était la photographie. Pendant mes deux années d’études en droit, j’ai participé à un concours de photographie, de texte et de chant à l’église La Prophétie de Turgeau à Canapé-Vert. Il y avait plusieurs thèmes à photographier, dont la nature, et j’ai réalisé de petits reportages. C’est à ce moment-là qu’on m’a sélectionné pour la phase finale, et j’ai remporté le premier prix”, explique-t-il.

Cette victoire marque le début de son aventure photographique. Il suit une formation complète, mais au départ, la photographie ne semble pas, au début, correspondre à ses ambitions. “À l’époque, la photographie était peu valorisée. Il était mal vu qu’un jeune étudiant en droit envisage d’apprendre la photographie. Et lorsque je constatais le comportement de certains photographes, je n’avais jamais eu une aussi grande considération pour cette profession que pour d’autres métiers, comme le droit et bien d’autres”, confie-t-il.

Cependant, un ami, Zacharie Pierre, un photographe spécialisé dans les mariages, joue un rôle crucial dans la redéfinition de son parcours. Attiré par cette profession, Joseph décide de mettre un terme à ses études de droit et de se consacrer pleinement à la photographie. “Alors que j’étais en droit, je me suis inscrit au CEPEC, étant donné que je n’avais rien de prévu le mardi. Un jour, l’université a décidé d’ajouter un cours le mardi, et c’est là que j’ai dû faire un choix décisif. J’ai laissé tomber le droit sans donner d’avis. Je passais déjà trop de temps à la photographie et je me suis encore plus rapproché d’elle afin de me perfectionner”, raconte-t-il.

Joseph Odelyn cherche le bon angle. • ©Joseph Odelyn (FB)

“Je ne savais pas comment l’annoncer à mon père. Et j’étais devenu de plus en plus curieux du métier”, ajoute-t-il. Toutefois, en tant qu’aîné de sa famille, il s’est beaucoup investi jusqu’à en faire son gagne-pain, certain qu’avec ces revenus, il pourrait subvenir à ses besoins.

Bien que cette volonté d’aller de l’avant dans le domaine puisse être persistante, il a profité d’innombrables rencontres qui lui ont permis de déboucher vers un autre horizon du métier : le photojournalisme. “Ma passion est venue au moment où on m’a sélectionné pour poursuivre un cours à CEPEC. J’excellais dans la photographie de mariage, de graduation, de studio, etc. Mais par-dessus tout, je me questionnais assez souvent sur ce que je voulais réellement faire avec la caméra et la photographie.”

La rencontre avec Dieu-Nalio Chery, un photojournaliste haïtien, marque un tournant dans sa carrière. “Quand j’ai découvert le photojournalisme, je me suis dit que c’était exactement ce que je voulais faire. Je n’ai jamais voulu m’installer derrière un bureau. Et c’est là que tout a commencé”, déclare-t-il.

Son travail s’impose rapidement dans le milieu, et ses photos apparaissent dans des médias internationaux. En 2020, grâce à l’intervention de Chery, il rejoint l’équipe de l’Associated Press en tant que photojournaliste de terrain. Mais c’est lors de l’assassinat de l’ex-président haïtien Jovenel Moïse, en juillet 2021, qu’il gagne une notoriété mondiale. Ses clichés de l’événement font la une des médias internationaux.

“Avec beaucoup de difficultés et d’empêchements, je me suis rendu sur les lieux. Nous étions trois sur une moto. Des policiers ont pointé leurs armes sur nous, voulant nous empêcher de prendre des photos. À ce moment, tout ce que j’avais en tête, c’était de prendre des photos. La première catégorie de photos sur la mort du président provenait de moi, et cela a fait la une des médias internationaux.””, raconte-t-il.

Le 7 juillet 2021, Joseph Odelyn photographie l’extérieur de la residence officielle du Président Jovenel Moïse après son assassinat. • ©Odelyn Joseph / AP

Joseph Odelyn définit la photographie comme une écriture historique et un témoin de ce que les autres ne voient pas. “La photographie, c’est l’aperçu du monde que l’on ne voit pas. C’est la marque du temps, du présent et du futur”, souligne-t-il.

Marié et père d’une petite fille, il se dit que sa progression dans ce domaine a été rapide, et il puise sa passion dans l’importance de la photographie dans la société. “Depuis longtemps, lorsque j’ai choisi d’exercer cette profession, j’ai toujours rêvé d’être utile. Il y a trop de gens qui s’adonnent à des choses mauvaises dans la société. J’ai cherché à savoir s’il y avait quelque chose que je pouvais faire pour que les gens soient conscients de cette nécessité. Surtout qu’il y a de grands professionnels de la caméra qui sont contraints de fuir le pays. Il y avait un manque de photographes sur le terrain. C’est alors que je suis rentré en jeu afin de livrer les messages de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer”, explique-t-il lors de son entretien à Chakarella.

L’esthétique de la photographie selon Joseph Odelyn

Pour Odelyn, l’esthétique en photographie est primordiale, mais elle demeure difficile à atteindre. “Quand on est en pleine rue, on n’a pas le temps de demander à la personne de se positionner une fois de plus pour que la capture soit parfaite. On n’a pas besoin d’une personne pour expliquer ce qui se passe en réalité. La photo décrit elle-même la situation, l’histoire. Donc, il est extrêmement important pour moi de passer du temps avec les gens pour les écouter afin de comprendre les situations, les actualités. C’est comme ça que je trouve le plus d’intérêts possibles pour composer mes images”, précise-t-il.

Un métier difficile

Être photojournaliste en Haïti n’est pas de tout repos. “Pour travailler, il faut avoir un minimum d’accès. Ce n’est pas du tout facile, surtout que nous sommes limités dans les prises de photos. Depuis 3 ans, le plus gros handicap du métier, c’est l’accès à l’image. Il y a certaines choses qu’on ne peut pas vraiment exposer et, aujourd’hui, nous sommes considérés comme les ennemis de la population, notamment par les forces de l’ordre, qui estiment qu’on donne la possibilité à des groupes armés de s’exprimer”, explique Joseph Odelyn. Malgré ces difficultés, il reste déterminé à remplir sa mission d’informer le public à travers ses photos.

Joseph Odelyn, invité d’honneur des Rencontres du Documentaire en Haïti

Cela fait quatre ans qu’il participe aux Rencontres du Documentaire en Haïti, d’abord comme simple photographe, puis en tant qu’invité d’honneur lors de la 6e édition. Cette distinction est un témoignage de son savoir-faire et de son charisme. “Je me sens fier, à ce jour, d’être l’invité d’honneur du festival. J’ai remporté des prix internationaux en raison de mes travaux, et cela fait aussi ma fierté de voir que des Haïtiens comme moi se sont unis pour honorer mes sacrifices. Ça n’a pas de prix quand cela vient du peuple de mon propre pays”, confie-t-il. Pour lui, ce festival est l’un des plus beaux de l’époque et il remercie les organisateurs de lui avoir permis de briller sous les projecteurs.

Le thème du festival : “Territoires Perdus”

À travers ses photos, Joseph Odelyn aborde la situation actuelle du pays en capturant des scènes de déplacés, notamment à Nazon, Cité Soleil, Pont Sondé, et en Artibonite. “Nous avons estimé que cela ne devrait pas passer inaperçu. Depuis l’annonce du thème, j’ai rassemblé mes caméras et je suis allé à la rencontre des réalités de ces lieux”, raconte-t-il.

À 32 ans, il bat des records sur la scène internationale

Membre de KIT, du collectif de photographes et de cinéastes haïtiens, est un professionnel reconnu à l’échelle internationale. Il est l’un des meilleurs photographes issus de sa génération. Travailleur à l’Associated Press, il a signé plus de 2000 photos. Durant l’année 2024, il a également été distingué à deux reprises lors du concours Atlanta Photojournalism Seminar 2024. Sa dernière distinction remonte au 16 novembre 2024, où il a obtenu la deuxième place dans les catégories Actualité générale et Chris Hondros Memorial International News. Pour couronner le tout, il est le visage caché derrière la représentation photographique de la 6e édition des Rencontres du Documentaire en Haïti.”

“Ces prix représentent pour moi le courage et la motivation de travailler encore plus afin de pouvoir continuer à écrire l’histoire du pays à travers mes prises de photos. Mon plus grand honneur serait de voir, grâce à mes photos, qu’il y ait une prise de conscience permettant de sortir le pays de cette crise”, confie-t-il.

Joseph Odelyn rêve d’exposer ses œuvres dans des musées et de créer une école professionnelle de photographie en Haïti, tout en restant un modèle pour la prochaine génération de photographes.

Joseph Odelyn sur son lieu de travail. • ©Facebook/Joseph Odelyn

Par Gerole Midy © Chokarella

1 Comment

  • Jean Belony Fortuné
    Jean Belony Fortuné
    December 24, 2024 at 7:46 pm

    J’apprécie ce travail Chokarella!!!!

    Reply

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