La culture est le miroir d’une société, mais que dire de ceux qui sont laissés dans l’ombre ? En Haïti, l’accessibilité limitée des événements culturels exclut une partie de la population de cette richesse collective. Il est temps de briser les barrières et d’illuminer les scènes culturelles pour que tous les Haïtiens puissent se voir et s’épanouir dans un monde artistique inclusif.
Selon la définition de l’UNESCO : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » En Haïti, la culture est au cœur de notre identité et s’exprime à travers différents arts tels que la danse, la peinture, la sculpture, le théâtre et l’artisanat, pour n’en citer que quelques-uns. Nous avons une culture riche qui transparaît également dans divers genres musicaux tels que le « konpa », la racine et le troubadour, une gastronomie renommée, des traditions telles que le carnaval et les fêtes champêtres, un patrimoine historique composé de sites et de monuments, ainsi que des événements tels que les bals, les festivals et autres festivités.
L’accessibilité pour tous
Schebna Bazile, dramaturge, comédienne et coordinatrice du Rasin Festival Atizay, se spécialise dans l’organisation d’événements culturels. Avec toutes ces casquettes, elle a son mot à dire sur la question de l’accessibilité des personnes en situation de handicap. Selon elle, le premier problème réside dans l’absence de salles de spectacle en Haïti ! En d’autres termes, il n’existe pas d’espaces standard répondant aux exigences d’accessibilité auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicap. Certes, certains agents culturels ont investi quelques espaces pour organiser des activités, mais en réalité, il y a plus de bonne volonté que de réels moyens. « Il y a des espaces construits sur plusieurs étages, des lieux d’entrée et de sortie accessibles uniquement par des escaliers, et des endroits tout bonnement négligés, sans aménagement réel pour favoriser l’accès des personnes à mobilité réduite », constate-elle.
De son côté, Johny Zephirin, comédien et directeur artistique du Festival Quinzaine Internationale Handicap et Culture, un espace d’expression artistique inclusif qui accorde la priorité aux minorités en offrant des ateliers de formation, la possibilité de jouer sur scène et une certaine visibilité, souligne que l’accessibilité dans le milieu culturel peut être vue sous deux angles : géographique, d’ailleurs il fustige particulièrement l’aménagement des espaces, qui peut renforcer la stigmatisation et l’exclusion des personnes à mobilité réduite en présence d’escaliers et en l’absence ou la rareté de rampes d’accès.
L’importance de l’inclusion pour tous les Haïtiens
Il est temps d’ouvrir les portes des événements culturels et d’offrir à chaque Haïtien le droit inaliénable de participer, d’apprendre et de s’émerveiller. Les personnes en situation de handicap ont également droit à cela. Johny souligne également l’importance de la qualité des services offerts pour faciliter l’accessibilité aux personnes handicapées, tels que l’interprétation en langues des signes (qu’il propose lui-même lors de son festival) ou la transcription en braille de la programmation, car le handicap peut être moteur, sensoriel et psycho-social. Il est également important de penser à ces personnes qui sont presque exclues non seulement en tant qu’artistes, mais aussi en tant que public. Elles sont présentes, elles existent et elles ont leur place. La comédienne Cindy Pierre-Louis, une jeune aveugle qui brille sur la scène nationale et internationale dans le domaine théâtral, est un exemple parmi d’autres.
Les bonnes pratiques en matière d’accessibilité culturelle
On peut recenser quelques organisations et festivals qui ont fait la différence en matière d’acceptation et d’inclusion. Parmi eux, nous pouvons citer le Mouvement pour l’intégration et l’émancipation des femmes handicapées (MIEFH), une organisation féministe basée au Cap-Haïtien ; Pas à Pas, un organisme situé à Jacmel ; l’école Saint-Vincent et la Société d’Aide aux Aveugles (SHAA) à travers sa bibliothèque, toutes deux localisées à Port-au-Prince ; sans oublier le Festival Quinzaine International Handicap et Culture, qui est le premier en son genre et se prépare pour sa huitième édition en octobre prochain.
Ces institutions ont à la fois fait un plaidoyer pour favoriser l’intégration des personnes en situation de handicap et ont offert un espace physique et communautaire pour qu’elles puissent y évoluer. Il ne faut pas non plus oublier les partenaires qui les soutiennent dans cette lutte constante, tels que la FOKAL, le festival Kont Anba Tonèl et le Festival 4 Chemins.
Malgré les progrès et les efforts accomplis, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. C’est pourquoi certaines personnes concernées par cette noble cause de l’accessibilité réelle dans le secteur culturel ont émis quelques recommandations.
Que faire de plus ?
Au vu des problèmes structurels rencontrés, la première solution consisterait à construire des espaces standardisés pour accueillir les événements culturels ou à réaménager les espaces existants dédiés à cet effet afin de favoriser véritablement l’intégration des personnes en situation de handicap, comme le propose Schebna, qui a travaillé au Cap-Haïtien et à Port-au-Prince et a eu l’occasion de collaborer avec des organismes luttant pour l’intégration effective des personnes handicapées. Pour Johny Zephirin, l’absence ou la rareté de personnes handicapées dans les espaces de travail est à déplorer. « Le problème de l’inclusion, poursuit-il, n’a pas réellement été réellement posé, et il faut de la tolérance et une ouverture d’esprit pour y parvenir, malgré les nombreux efforts déjà effectués en ce sens » Le responsable de festival propose, de son côté, de former les jeunes handicapés, bien que cela puisse susciter une certaine réticence au départ en raison d’un manque de confiance en eux et d’une certaine méfiance liée à de mauvaises expériences passées. Au sein du Festival, il souhaite donner l’exemple en intégrant deux jeunes en situation de handicap au sein de son comité organisateur, ainsi qu’en recrutant d’autres jeunes compétents au sein des différentes commissions (logistique, communication…) afin de leur offrir des formations et qu’ils puissent acquérir de l’expérience.
Rendre les événements culturels accessibles pour transformer la société
Haïti possède une richesse et une identité culturelle incomparables mais un accès limité aux événements la mettant en valeur. L’accessibilité qui peut être vue sous plusieurs angles a été abordée par deux acteurs du secteur culturel, qui ont déploré un manque d’aménagement des espaces dédiés à l’organisation des événements culturels et le manque d’inclusion des personnes déficientes, cependant certaines institutions ont su proposer une alternative mais elle se révèle parfois insuffisante, parce que l’inclusion c’est l’affaire de tout le monde. D’où un plaidoyer et un effort commun pour favoriser l’accessibilité à ceux et celles qui sont minoritaires. Car c’est dans cette accessibilité que réside le pouvoir de transformer notre société en une symphonie harmonieuse où chacun joue sa propre mélodie.
Widenie Bruno